Onirym : ressources pour Ambre, le jeu de rôle

Roger Zelazny Le père d'Ambre

Interview SF FUTURE LIFE

Interview
Voici une traduction de l'interview de Roger Zélazny parue dans la revue de SF FUTURE LIFE N° 25 du 25 Mars 1981 (Interview réalisée par W.B. Thompson et traduite par Laurent Lippa).

L’auteur à succès de Seigneur de Lumière nous parle de son œuvre.

Le nom de Roger Zelazny est synonyme d’excellence dans le royaume de la littérature de science-fiction. A 41 ans, Zelazny se trouve à peu près dans la même position que celle d’Alexandre le Grand il y a 2000 ans de cela. Après avoir inscrit à son palmarès les prix les plus convoités du genre, et ce à six reprises, le Prix Hugo et le prix Nebula, il ne lui reste que peu de territoires à conquérir.

Mais restez rassurés, il continue à explorer.

Zelazny a publié jusqu’à ce jour 85 articles et nouvelles, ainsi que 20 romans. Son dernier ouvrage, « Repères sur la Route », a été publié en Novembre. Les histoires de Zelazny ont été traduites en 13 langues, tandis que son fameux roman Seigneur de Lumière (1967) a été hissé au rang de modèle à l’aune duquel les autres mesurent leur succès.

Lors des premières éditions de la cérémonie de remise des Prix de l’Association des Ecrivains de Science-fiction d’Amérique, il a raflé 2 des 5 Prix Nebula en jeu pour « Le Maître des Rêves» (Meilleur Roman) et pour « Les Portes de Son Visage, Les Lampes de Sa Bouche» (Meilleur Nouvelle).

Sa célèbre série d’Ambre, qui a commencé avec la parution en 1970 de « Neuf Princes d’Ambre », a culminé neuf ans plus tard avec la sortie des « Cours du Chaos ». Il s’agit d’une suite de cinq romans, une pentalogie, dont l’adaptation pour le cinéma est désormais une option. Une version théâtralisée de Damnation Alley (1969) a été produite en 1977 par la 20th Century-Fox.

Né à Cleveland, Zelazny a terminé la première partie de ses études supérieures à la Western Reserve University de Cleveland en 1959 avec un Bachelor of Art avant d’obtenir à l’Université de Columbia un Master of Art de Littérature Comparée en 1962, avec comme spécialisation le théâtre élisabéthain et jacobéen.

Zelazny, sa femme Judith et ses fils Devin Joseph et Jonathan Trent habitent à Santa Fé, au Nouveau-Mexique, depuis 1975.

Quand est-ce que vous vous êtes engagé dans une carrière d’écrivain ?

J’ai commencé à consacrer une partie de mon temps à l’écriture en Février 1962. J’ai vendu mon premier texte environ fin Mars, à peu près six semaines plus tard. J’ai continué à temps partiel jusqu’en 1969, moment à partir duquel mes revenus issus de l’écriture ont atteint le montant de mon salaire versé pour mon travail dans l’Administration à la Sécurité Sociale. C’est cette année là que j’ai quitté mon poste pour écrire à temps complet.

Les thèmes religieux ont joué un rôle essentiel dans la plupart de vos écrits. Néanmoins, il est possible de discerner un conflit d’influences, quelque chose comme une bataille entre la foi et la raison, ou plutôt entre une forme de piété et un agnosticisme raisonné. Est-ce que cela vous semble pertinent ?

C’est difficile à dire. Quand j’ai commencé à écrire, j’avais pour habitude d’utiliser beaucoup de matière en provenance de religions ou de mythologies. Je le faisais délibérément car tout cela formait un corpus d’informations que je venais juste d’assimiler. En conséquence, je fus durant une période de ma vie étiqueté écrivain de science-fiction mythologique. J’étais engagé dans un processus consistant à compléter mes acquis grâce à d’autres domaines d’intérêt que je pourrai mettre à profit dans mes prochains livres. Finalement, j’ai voulu me sortir de la case dans laquelle on m’avait rangé. C’est pourquoi j’ai écrit d’autres choses, comme La Pierre des Etoiles (1969), qui est considéré comme de la pure science-fiction.

Est-ce que ce roman détient une signification particulière pour vous ?

J’aime beaucoup ce livre. Il est l’un de mes deux ou trois préférés. Le résultat est très proche de ce que je voulais faire. J’étais en train d’essayer quelque chose d’expérimental qui consistait à se servir de flashbacks comme d’un dispositif pour raconter l’histoire. C’était une nouveauté par rapport à mon travail antérieur dans lequel il n’y avait pas une once de mythologie. Tout bien considéré, j’étais plutôt satisfait de ce à quoi j’étais arrivé.

A bien des égards, il peut aussi être perçu comme votre livre le plus humoristique. Pourquoi ?

En effet, l’humour est une autre chose que j’ai tenté de mettre dans mes écrits. Cela faisait un certain temps que le voulais écrire quelque chose de décalé et j’attendais le moment opportun. Cela fut plus facile quand j’ai cessé de trop m’attacher à mon personnage.

A la différence de nombreux autres écrivains, vous n’avez pas jugé absolument nécessaire de fournir des explications scientifiques détaillées à propos des interventions de l’esprit sur la réalité. Avez-vous une raison justifiant une telle approche des choses ?

Nulle part dans le Coran il n’est fait mention par Mahomet de la présence de chameaux. Tout le monde savait ce qu’était un chameau à cette époque. Il y a de nombreux écrivains dont l’approche n’implique pas vraiment le recours à la science sans que cela soit préjudiciable à l’histoire. Toutefois, si je suis déterminé à insérer un élément d’information scientifique, j’aime connaître l’endroit où on peut en obtenir de source sûre. J’avais mis en place dans le passé un programme de lecture personnel huit ans auparavant et avait ainsi lu environ 500 livres sur les sciences générales. Je continue à les consulter encore aujourd’hui. Mais quelle part issue de ces textes scientifiques est exploitée dans mes histoires, cela est difficile à dire.

Les lecteurs et les critiques sont souvent enclins à catégoriser la production littéraire d’un auteur et à l’étiqueter définitivement en s’appuyant sur un unique point de vue sous-jacent censé permettre d’embrasser du regard l’ensemble du paysage littéraire. Avec pour conséquence de lier toutes les œuvres de tel ou tel écrivain en un seul bloc comme s’il s’agissait à chaque fois d’un même type de récit. Est-ce que vous estimez que c’est le cas pour vos écrits ?

J’ai le sentiment d’avoir échappé en grande partie à ce catalogage. Une personne évolue au fil des ans. Et je détesterais penser que je suis statique et immuable. Mes attitudes se modifient avec le temps. De plus, j’avoue que je n’aime pas être enfermé dans une catégorie. Je fais varier mes approches et la nature du sujet traité. Il y a tellement de choses dans le monde qui valent la peine d’être mises en scène qu’il serait dommage de se restreindre à un champ d’intérêt étriqué.

Nombreux sont vos personnages principaux à vivre jusqu’à un certain point à la marge du système légal, ou alors se situent à l’abri des conventions sociales et des pressions exercées par la communauté. Des héros tels que Francis Sandow, Corwin et Fred Cassidy semblent également se donner toutes latitudes dans leurs choix personnels. Est-ce que cela est inhérent au genre de la Fantasy, ou est-ce une facette de votre personnalité qui se révèle à nous et se projette dans vos protagonistes ?

Et bien, Thomas Wolfe, le romancier américain qui a inspiré Jack Kerouac et Jerzy Kosinski, a dit que toute chose écrite par une personne est nécessairement autobiographique à un certain degré. Je suppose que c’est cette même sensation de liberté que je recherchais en espérant un jour devenir un écrivain indépendant à temps complet. Je ne voulais plus avoir à faire avec trop de contraintes. Je désirais simplement plus de temps pour moi et ne pas avoir à donner ou recevoir des ordres. Cela a pu déteindre dans mes livres. J’estime qu’il y a un petit peu de moi dans tous mes personnages, mais aucun ne s’identifie véritablement avec ce que je suis. J’essaye au maximum de rester en dehors des choses que j’écris et en tout état de cause je n’utilise jamais un personnage comme porte-parole de mes idées.

Quand est-ce que vous avez été pour la première fois interpellé par la science-fiction ?

C’est une passion, une addiction pourrait-on dire, née dans l’enfance. Mon expérience me permet d’affirmer que lorsqu’une personne commence à lire de la science-fiction, il peut indifféremment voyager dans le passé et dans le futur. J’ai débuté en lisant dans les champs quand j’avais environ 11ans. A cette époque, vous pouviez aller à un magasin de l’Armée du Salut et y obtenir une boîte pleine de vieux pulps pour presque rien. Ce fut durant cette période que tout s’est amorcé. J’ai toujours voulu écrire, même étant gamin. C’est quelque chose qui m’a toujours habité et je sentais que je passerai rapidement à l’acte. C’est pourquoi j’ai fait en sorte de pouvoir créer les conditions qui me permettraient d’écrire à plein temps.

Deux de vos œuvres courtes les plus récompensées, « Une Rose pour Ecclésiastes » et « Les Portes de Son Visage, les Lampes de Sa Bouche », étaient en quelque sorte un retour à l’âge doré de la science-fiction des années 30 et 40. Vous avez dû vous coltiner avec l’explosion technologique caractéristique de cette époque pour ces histoires ?

En effet. Ces deux récits étaient tributaires de l’ancien genre d’écriture, dans le style des Edgar Rice Burroughs. Sachant qu’ils parlaient de Mars et de Vénus, je me suis mis au courant à leur sujet. Au moment où elles furent écrites, je devenais informé des différents types de vols d’observation qui montraient que les planètes étaient différentes de mes descriptions. Mais la connaissance que le public en avait n’était pas suffisamment généralisée pour que cela soit préjudiciable et que je sois obligé de prendre en compte ces avancées en astronomie.

Si quelqu’un devait brandir une de vos œuvres et la proclamer comme étant la quintessence de Roger Zelazny, laquelle est-ce que vous souhaiteriez qu’il choisisse ?

Je suppose que ce serait « Seigneur de Lumière ». Il m’a fallu une année entière pour en terminer avec. Je travaillais 40 heures par semaine pour le job en lui-même et je devais rajouter les soirées et les weekends. Cela m’a déjà pris plus de temps entre le début et la fin de la rédaction d’un livre, mais je devais m’arrêter de produire du texte pour faire d’autres choses. « Seigneur de Lumière » m’a demandé continuité et constance.

A l’intérieur du genre de la science-fiction, quels sont les auteurs qui vous ont le plus influencés ?

Si j’avais à nommer quelqu’un en particulier ce serait Stanley Weinbaum et Henry Kuttner.

Et chez les auteurs contemporains ?

Parmi les actuels, j’aime bien J.P. Donnely. Et le romancier canadien Robertson Davies est très agréable à lire.

Quand est-ce que vous écrivez ? A quel moment de la journée et dans quelles conditions ?

Je tape à la machine à écrire environ 4 fois par jour mais seulement pendant des délais plutôt brefs. Si je n’ai pas la motivation d’écrire plus de 3 phrases, je stoppe tout. Je me contente de coucher sur le papier ces 3 phrases. Si j’en ai l’envie alors je continue inlassablement aussi longtemps que mon humeur me le permet. J’ai un bureau insonorisé contre les nuisances du trafic routier. J’ai constaté que j’avais tendance à être à mon meilleur niveau de nuit. Il semble qu’il y ait des gens de jour et des gens de nuit.

Y a-t-il une différence fondamentale perceptible dans votre approche de l’écriture d’un roman ou d’une nouvelle ?

Oui, dans mon cas, la différence est tout à fait significative. L’idée directrice d’une nouvelle me vient souvent comme ça, alors tout simplement je m’assois et j’écris ce que j’ai en tête. Pour un roman, j’ai d’abord une idée du personnage principal, avant toute représentation mentale de ce qu’est l’intrigue. C’est pourquoi je continue en règle générale à travailler sur le personnage principal, en visualisant certaines situations-clés dans lesquelles il pourrait se trouver. Je détermine le type de personnes à qui il ressemble et la manière dont il se conduit le plus souvent. Je prends alors deux des situations préalablement imaginées, je les mets en scène avant de mettre au point une liaison qui fera passer le personnage de la première scène à la scène suivante. Puis je complète la définition des acteurs du roman en rédigeant le background des personnages secondaires. Assez régulièrement, un personnage mineur décolle et devient un personnage majeur. Je ne fais qu’accompagner cette évolution de situation en situation et cela finit de se mettre en place en cours de progression. En d’autres mots, une nouvelle s’avère du remplissage réalisé en conscience tandis qu’un roman laisse plus parler l’inconscient.

Quel accent mettez-vous sur le style ou les éléments de structure tels que le rythme ?

Je ne pense pas consciemment au rythme des mots dans la phrase ou au rythme de l’action dans l’intrigue. Quand j’avais commencé à écrire des histoires plus longues, j’avais pris l’habitude de revenir en arrière et de relire ce que j’étais en train d’écrire. Je me suis rendu compte que j’avais tendance à réarranger les situations se révélaient être les scènes clés et ce en les résumant. J’ai alors découvert que les descriptions de scènes d’action déterminantes dans l’avancée de l’intrigue avaient un problème de rythme. C’est la raison pour laquelle j’ai cultivé mentalement un effet de ralenti afin d’étaler l’action dans la durée. Après je laisse tout ça refroidir et la plupart du temps cela fait l’affaire. J’avais vraiment tendance à contracter les choses en premier lieu et j’ai dû apprendre à les développer.

De toutes vos créations, peut-être qu’aucune n’est plus intrigante que le concept des « Atouts » dans la série d’Ambre. Etiez-vous parti avec l’idée de les utiliser comme des représentations symboliques permettant aux rivalités entre les personnages de s’exprimer sous forme de combats psychiques ou plutôt comme d’un véhicule autorisant les voyages interdimensionnels ?

Pour être honnête, l’idée des Atouts est venue simplement afin de trouver un moyen de décrire un grand nombre de personnages le plus rapidement possible. J’avais tous ces frères et sœurs en même temps dans le premier livre de la série. Si j’avais dû faire une présentation détaillée de chacun d’entre eux dès leur première apparition dans l’histoire, cela aurait représenté une quantité incroyable de descriptions difficiles à mettre en place. Personne ne se souviendrait de qui est qui. C’est pourquoi je savais que ce devait être comme une galerie de portraits. Je me suis arrangé pour les dépeindre en peu de lignes, en montrant les traits les plus marquants. De cette manière, une fois que je les avais présentés, le lecteur pouvait à tout moment revenir en arrière et consulter les pages qui indiquaient à quoi ils ressemblent.

Ambre fut votre seule et unique série. Y a-t-il une raison à cela ?

Je suis un peu réticent à en faire. Je pense que vous trichez si vous faites ce genre de séries interminables dans lesquelles vous laissez en suspend toutes les chaîne narratives et où rien n’est jamais terminé. Je voulais arriver à la conclusion de l’intrigue commencée dans le premier roman à la fin du cinquième, et faire autant de livres que les doigts de la main. Si j’avais voulu écrire une histoire en reprenant la chronologie au tout début et prendre comme personnage principal un autre membre de la lignée, cela n’aurait pas été une suite mais plutôt une aventure relativement indépendante, une autre perception, une autre attitude, un nouveau rapport aux choses, aux êtres, aux idées.

Est-ce que des écarts de rétribution financière ou de reconnaissance artistique continuent à perdurer entre les écrivains de science-fiction et les écrivains mainstream ?

Cet état de fait s’est considérablement accru dans les toutes dernières années. Mais si on regarde le problème à partir du point de vue de la critique littéraire, je suppose que l’image du genre SF continue à souffrir de la réputation des pulps, ces magazines imprimés sur du papier de mauvaise qualité, très peu chers et prisés par un lectorat populaire. Cependant, cette perception a été partiellement laminée ces dix dernières années. [Note du Traducteur : un des objectifs du mouvement littéraire de la Nouvelle Vague auquel Roger Zélazny appartenait était de donner ses lettres de la noblesse à la SF, en proposant au public des textes de qualité, des œuvres à part entière]

Lorsque qu’un roman peut exiger le versement d’un à-valoir de l’ordre de 100 000 dollars, comme ce fut le cas pour le « Pontesprit » de Joe Haldeman en 1976, est ce que la communauté de la SF peut commencer à célébrer une forme de réussite ?

Ce fut sans conteste un tournant décisif. Mais le traitement intellectuel du genre se fait maintenant dans de nombreux endroits. Il y a environ 2000 cours académiques de science-fiction qui sont donnés dans tout le pays. Tous les professeurs ne sont pas nécessairement des écrivains professionnels, mais il y en a 2 de cette catégorie qui me viennent à l’esprit ce sont James Gunn de l’Université du Kansas et Jack Williamson ici au Nouveau-Mexique. Bien sûr, il faut rappeler que l’Association pour la Langue Moderne a institutionnalisé l’Association de Recherche en Science-Fiction qui produit des études spécifiques et une revue périodique, « Extrapolation ».

Est-il possible que la mentalité de lycéen immature souvent patente dans certains bandes dessinées ou films de SF puisse être préjudiciable au progrès du genre sur le plan de la valeur intellectuelle ?

Il est trop tôt pour le dire. J’estime qu’il est préférable d’attendre et de voir. On trouve toujours un segment du public qui raffole de productions de cet acabit.

Est-ce que les écrivains aspirants en SF ou en Fantasy peuvent espérer se faire une place au soleil ?

Je dirais que oui, c’est faisable. Un marché dynamisé par la demande est apparu et c’est maintenant le bon moment pour ceux qui veulent se faire la main. Toutefois, je conseille à tout écrivain débutant qui souhaite y arriver de commencer par des nouvelles. Quand je me suis lancé dans cette voie, je m’étais fait un recensement de tous les magazines dans le business pour ensuite envoyer ma création aux premières revues sur ma liste. Dans le même temps, je m’étais attelé à la rédaction d’une autre histoire. Si le premier tapuscrit m’était retourné, j’envoyais la deuxième histoire que je venais juste de terminer à la première revue et ainsi de suite. J’essayais de garder 10 histoires en circulation pour cette même revue. Je réinitialisais la même procédure pour les autres magazines de la liste avec ce stock de nouvelles. C’est pourquoi, je m’astreignais à écrire plusieurs histoires par semaine.

Votre collaboration avec le dessinateur Gray Morrow sur « The Illustrated Roger Zélazny » fut une expérience inhabituelle et donc potentiellement riche en enseignements. Est-ce que le résultat a été à la hauteur de vos exigences ?

Oui, cela fut satisfaisant sur certains points. J’ai pris du plaisir à le faire simplement parce que c’était tout nouveau pour moi. Le dessin d’accompagnement de Gray a illustré mes histoires comme une personne qui peut voir les images mentales que vous avez en tête. Sa faculté d’adaptation de son style à l’évolution du récit et la diversité de techniques dont il disposait dans sa palette m’ont impressionné. Cela s’est avéré particulièrement intéressant et amusant de travailler avec lui pour « Jack of Shadows » (Le Maître des Ombres).

Certains projets se sont révélés moins heureux cependant. L’adaptation filmée de « Damnation Alley » (Route 666/Les Culbuteurs de l’Enfer) par exemple vient à l’esprit.

En effet, cela m’a un peu consterné. Manifestement, je n’avais aucun droit de regard sur la production. J’avais déjà lu un scénario prévisionnel qui en fait était plutôt bon. J’ai pensé que c’était à partir de ce script qu’ils allaient tourner. Au départ, le scénario avait été écrit par Lukas Heller (« Hush », « Hush Sweet Charlotte », «The Dirty Dozen »). C’était celui que j’avais lu et qui me plaisait. Mais le studio n’en était pas complètement satisfait et donc ils l’ont confié à un autre rédacteur. Avec pour résultat de le rendre méconnaissable de mon point de vue.

Est-ce que cela vous y fera penser à deux fois avant de retenter l’expérience ?

Je vais recommencer d’autres projets en partenariat. J’ai actuellement un produit à vendre. Je préfèrerais évidemment qu’ils fassent du bon boulot. De toute façon, j’y ai gagné financièrement et donc je le referai. J’ai bon espoir que l’adaptation soit mieux réalisée la prochaine fois, mais ce qui me préoccupe en premier lieu est de vendre ce que j’écris. La manière dont je vois les choses est que s’ils produisent un film de piètre qualité basé sur un de mes textes, celui-ci ne sera pas diffusé efficacement et sera oublié alors que le livre lui sera toujours disponible. Assez bizarrement, le livre a été réédité avec une illustration issue du film sur la couverture au moment où le film est sorti en salles. L’éditeur a visionné 2000 images pour trouver quelque chose qui ressemblerait vaguement à une séquence présente dans le livre. Il s’est extraordinairement bien vendu durant environ un an après cette nouvelle publication. Il y a une théorie éditoriale qui dit que les gens qui achètent des livres à couverture rigide réfléchissent à leur acte d’achat un peu à l’avance tandis que les acheteurs de livres de poche font des achats d’impulsion et ont tendance à être influencés par le fait que livre ait été adapté ou non au cinéma.

Autrement que lire, discuter ou rêver éveillé, que faites-vous pour la détente et par extension pour l’inspiration ?

J’écoute un éventail très large de musiques. Mais je n’écoute pas quand j’écris. Si je me coltine avec un problème particulièrement difficile, alors je fais jouer de la musique folk. J’aime le jazz et le classique également même si la musique folk est suffisante pour me distraire. Souvent, un écrivain a besoin d’un certain niveau de divertissement pour laisser son subconscient lui donner les images et les données qui vont l’inspirer.

Maintenant que « Roadmarks » (Repères sur la Route) est derrière vous, quel est le prochain sur votre agenda ?

J’ai un grand nombre d’idées mais je ne mets l’accent sur aucune d’entre elle actuellement. En ce qui concerne un livre, je n’aime pas en planifier plus d’un à l’avance. C’est parce que mes goûts peuvent changer en cours d’écriture d’un roman ou d’une nouvelle. Simplement et efficacement, je range mes idées dans un coin de mon esprit.

Y a-t-il selon vous une qualité essentielle sans laquelle une œuvre ne peut être considérée comme de la bonne science-fiction ?

Je déteste être banal, mais je dois utiliser le vieux cliché disant qu’il est indispensable d’avoir un sens du merveilleux, qu’il faut savoir captiver et étonner. Si une œuvre possède cela, alors me voilà satisfait. J’inspire une grande bouffée d’air et je me dis : « c’est un panorama mental, un pur concept, ou c’est terriblement bien réalisé. » C’est comme cela que ça marche.